Comment j’ai appris à lâcher prise !

Article de

Thi Bich DOAN

Et si vous décidiez de vraiment lâcher prise ?

Ne pas résister à l’inéluctable de la situation présente permet de rassembler ses forces et d’ouvrir en soi un plus large espace de conscience et d’action.

 


Se laisser porter par le courant

IMPULSION DE DEPART Lorsque je parle de mon expérience radicale d’un an où j’ai choisi de quitter la sécurité matérielle pour vivre sans rien programmer à l’avance, on me dit que j’ai fait une expérience de lâcher prise. Je suis tout à fait d’accord mais pour dire la vérité, pendant toute cette année, je n’ai pas un seul instant pensé que j’étais en train d’expérimenter le lâcher-prise. J’ai suivi l’impulsion irrésistible de me laisser complètement guider par la vie, avec en arrière-plan le désir de mieux me connaître. Je voulais tester mes réactions face à l’inconnu et vérifier si mon travail de cohérence intérieure allait se répercuter sur une harmonisation avec mon environnement et les événements qui allaient survenir.

 

SE LAISSER LACHER PRISE Le lâcher-prise a démarré sans que je le veuille vraiment, comme si une force puissante m’avait poussée à lâcher mon confort pour me faire aller dans une direction incertaine. J’ai en tête l’image symbolique d’une personne qui se raccroche à une branche alors qu’elle se trouve sur un talus en pente raide, jusqu’au moment où sa main fatiguée lâche et qu’elle se laisse rouler. Du haut de ma petite montagne, j’ai regardé en bas et malgré la peur, j’ai choisi de faire confiance à la nature et à ma capacité de me récupérer. J’ai ouvert la main pour reposer mon bras tremblant.

 

DEVALER LA PENTE Après avoir libéré le lien qui me reliait à la branche de ma sécurité, le poids de mon corps chargé de mémoires non résolues m’a tiré vers le bas et j’ai commencé à être entraînée dans le sens de la pente. Ne contrôlant pas ma vitesse et ma trajectoire, j’ai glissé sur l’herbe, sur les fleurs, les cailloux… qui se trouvaient sur mon chemin. Chaque rencontre m’a fait ressentir un contact corporel différent, parfois agréable, parfois désagréable, parfois neutre.

 

FAIRE UN AVEC LA MONTAGE Au bout d’un moment, si je me laisse complètement aller au mouvement de descente, si je ne résiste pas, mon corps peut se détendre et le mouvement devenir plus souple, plus fluide, jusqu’au point où que je deviens consciente de la chute et de tout ce que je traverse. Ma souplesse crée un contact plus harmonieux entre mon corps et la terre, entre moi et mon environnement. La peur se dissout quand je réalise que je ne peux rien faire d’autre que faire de mon mieux pour ne pas me faire mal. Pour avoir moins mal, j’oppose le moins de résistance possible aux aspérités. Je repère d’autant plus aisément les occasions d’adoucir la chute.

 

OUVRIR LES YEUX La libération des émotions perturbatrices et la régulation de la peur éclaircissent l’esprit qui peut alors mieux percevoir. C’est ce qui m’est arrivé pendant mon année initiatique où les épreuves et les joies du chemin que j’ai traversé m’ont ouvert les yeux et j’en ai clairement ressenti les bénéfices à l’arrivée. Où suis-je arrivée ? En bas de la montagne, sur terre. Et un peu plus en moi-même. Tout chemin de vie – ponctué de surprises, d’épreuves et de joies – est un support concret pour mieux se connaître.

 


Pour agir plus justement

L’INVERSE DU LAISSER-ALLER Imaginez une personne qui se débat dans une mer en furie (ou une situation inextricable) pour ne pas se noyer et dont les mouvements chaotiques l’enfoncent toujours davantage sous l’eau tout en lui faisant perdre des forces. Elle est paniquée car par moments elle ne peut plus respirer. Elle fait tout son possible pour survivre, or ce sont ses gestes désordonnés qui risquent de la faire couler.

Si la personne lâche ses peurs et notamment la peur panique de mourir, si elle lâche avec le réflexe inadapté de tenter de nager dans un environnement qui ne le permet pas, il est possible que son corps cesse spontanément de s’agiter inutilement. Il est plausible que ce lâcher-prise ne survienne que lorsque ses forces s’épuisent, comme un pur instinct de survie qui dépasserait une réaction réflexe encore mentalisée. En se relâchant au milieu de la tempête, le corps qui n’a plus la force de craindre la mort reprend contact avec son intelligence innée et commence à suivre les mouvements de la mer, et cette union avec les éléments va peut-être créer un nouveau rapport et remplacer le combat par l’acceptation. Non pas l’acceptation passive d’une éventuelle fin mais l’acceptation qu’il n’y a rien d’autre à faire que se laisser porter par cette eau qui sinon l’engloutira. Faire le mort, faire la planche représente le seul salut.

 

ENTRE LES MOTS ET L’EXPERIENCE Les mots pensés n’ont pas la même force ni le même impact que les mots vécus. Si vous racontez l’histoire d’une tierce personne qui a réussi à survivre à la noyade ou si vous racontez votre propre expérience de vous être sorti vous-même de cette situation extrême, les mêmes mots seront chargés et vibreront différemment. Il s’agit de deux compréhensions différentes et complémentaires, la compréhension vécue étant incarnée et ancrée dans le ressenti du corps. Le lecteur ou l’auditeur d’un mot peut également y mettre sa propre interprétation. Il est ainsi possible de dépasser la signification conceptuelle d’un terme, pour l’utiliser de manière plus vivante en plongeant dans ce qu’il véhicule de manière plus invisible. Si toute expérience est unique et changeante, les mots qui la décrivent devraient également pouvoir retranscrire leur atmosphère particulière. Une définition repose sur un socle commun mais peut se déployer dans une variété de nuances imprévisibles. Lâcher prise avec le sens conventionnel des mots ne nous permet-il pas de plonger dans un sens intérieur plus personnel et plus profond ? Un vécu expérientiel authentique ne peut-il pas être aussi valable qu’un parfait raisonnement intellectuel ?

 

ETRE AVEC Nombreux sont ceux qui souhaitent lâcher prise avec leurs peurs, leurs problèmes, leurs blocages. Souvent opposé à la notion de contrôle, le lâcher-prise est appréhendé comme un moyen efficace de quitter ce qui nous entrave, de laisser derrière nous les poids qui nous empêchent d’avancer. Il existe des méthodes, des conseils, des exercices – souvent efficaces et utiles – pour adopter des comportements et des attitudes qui aident à couper la corde qui nous lie aux boulets de nos habitudes et de nos souvenirs. Mais n’est-ce pas encore là des poids et des efforts supplémentaires à faire alors que la notion de lâcher prise se rapproche aussi de celle de ne plus être dans l’agitation du faire ?

Pourrait-on alors plutôt penser à arrêter de saisir ? On repère la tendance du mental à saisir et s’approprier les pensées, à s’accrocher au processus devenu automatique d’associations d’idées qui mène parfois à la rumination sans fin. L’observation équanime de ses pensées, de ses émotions et de ses sensations corporelles est l’outil de la méditation pour identifier et ralentir le processus de saisie et d’accumulation.

Mais si je devais résumer en quelques mots la principale action que j’ai mise en place pour lâcher prise – autrement dit pour observer le flux des pensées sans me laisser embarquer par mes histoires, et pour traverser les moments émotionnels et physiques difficiles -, ce serait : être avec ce qui est là, sur le moment, en moi et autour de moi. Avant même d’accepter, de comprendre, d’interpréter, c’est être présent à ce qui est présent. Dans la tempête émotionnelle et récurrente qui me perturbe, c’est être avec le mal de tête qui l’accompagne, être avec mon envie de ne pas répondre à l’autre, être à l’écoute de ma réaction face à ce qui me dérange, être avec mon juge intérieur qui critique ma réaction, être avec mon malaise et mes tentatives ratées de trouver des solutions, être avec mon énervement et mon sentiment d’impuissance. Si je suis pleinement avec moi dans cette situation, je m’accepte telle que je suis. Dire oui à ce qui est présent en moi est un facteur de détente et je m’aperçois que j’ai alors le loisir d’accepter ou pas la situation et d’agir en conséquence. Je peux choisir de lâcher prise ou pas, en me laissant inviter par ce qui me convient le mieux à ce moment-là. Je n’ai plus besoin de suivre des conseils ou d’appliquer une méthode pour lâcher prise. Cette forme de lâcher-prise consiste à ne plus rien avoir à faire, ce qui ne signifie pas pour autant que l’on ne fasse plus rien.

Être avec ce qui est rejoint la sagesse de celui qui marche en marchant, qui respire en respirant et qui de fait porte moins d’attention à ce qui pourrait le déstabiliser. En développant la qualité de présence à soi, on reprend sa place en se remplissant de sa propre énergie et on n’offre plus de prise aux influences extérieures ou aux habitudes inconscientes qui pourraient subrepticement s’accrocher à nous.

Être avec, c’est ma façon de pouvoir lâcher prise sans avoir besoin de lâcher prise.

 

 

 


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