Dans notre société, c’est la science, et non plus la religion ou la philosophie, qui détermine notre vision du monde. L’énorme progrès des connaissances, l’amélioration de nos conditions de vie, tout nous incite, consciemment ou pas, à recevoir son message. Or, comme nous l’avons dit, ce message a été associé à un désenchantement du monde. Le philosophe Gilbert Hottois faisait déjà remarquer que l’homme antique avait, de par son contact avec la nature, le sens d’un certain mystère du monde qui s’est perdu de nos jours, où nous vivons entourés de télévisions, de machines à laver et autres artefacts. Développant ce thème, des scientifiques comme des philosophes ont affirmé que “faire de la science suppose qu’il n’y a pas de mystère dans l’Univers”.
Certes, en pratique, il y en a des mystères et il y en aura toujours. Mais en droit il n’y a rien qu’il ne soit impossible de découvrir. Il s’agit là d’un postulat de base ayant mené au développement de la science occidentale. Deux autres postulats lui furent associés : le déterminisme qui assimile l’Univers à une grande mécanique, et le réductionnisme, méthode d’analyse remontant à Descartes, et qui considère que le tout n’est rien d’autre que la somme des parties. Ainsi, la voiture est un ensemble de pièces, une pièce, un ensemble d’alliages, un alliage, un ensemble de molécules, une molécule, un ensemble d’atomes, etc… L’homme est donc un ensemble d’atomes et la nature, une somme de matières premières… Ces principes, très performants à court terme et qui facilitèrent bien des progrès, nous ont privé à long terme de toute vision globale du monde. Aujourd’hui l’homme se retrouve dans un univers vide de signification où il serait apparu et aurait évolué par hasard, où sa conscience serait sécrétée par le cerveau comme le foie secrète la bile, et où la réalité ultime se réduirait à des petits grains de matière.
Mais voici qu’il se passe quelque chose d’extraordinaire. Voici que de l’infiniment petit à l’infiniment grand, des sciences de la vie aux sciences de la matière, surgissent de nouveaux concepts – bien que rappelant parfois des idées anciennes. Ainsi, ces petites billes de matière qui devaient être le fondement de la réalité, se sont dématérialisées. La physique quantique nous apprend que les particules sont aussi des ondes, que leur nature est modifiée par l’observation (disparaît ainsi le dogme de la neutralité de l’observateur), que le déterminisme est battu en brèche, et qu’il existe au niveau microscopique un phénomène étrange, la “non séparabilité” : lorsque deux particules ont été en contact, elles restent reliées par un lien non énergétique. Alors que tout ce que nous connaissions jusqu’ici (objets, hommes, ondes radio….) était composé d’énergie (car la matière n’est rien d’autre qu’une quantité d’énergie comme le montre la célèbre formule d’Einstein E = MC2). Ainsi notre réalité n’est pas la seule, elle semble greffée sur un autre niveau de réalité.
Selon les derniers progrès de l’astrophysique, non seulement la théorie du Big Bang (récemment renforcée par les découvertes du satellite COBE) pose la question des origines de notre Univers, question qui ne se posait pas dans le modèle précédent – l’univers stationnaire de Laplace – mais on s’est aperçu que, parmi les milliards d’Univers qui peuvent être créés en faisant varier les constantes fondamentales qui déterminent ses caractéristiques, un seul (le nôtre !) était apte à accueillir la vie. Ce “réglage” fait dire à des astrophysiciens comme Freeman Dyson : “D’une façon ou d’une autre l’Univers savait que nous allions venir, ou Trinh Xuan Thuan : “La notion de création écartée avec dédain par Laplace et ses successeurs trouvait ainsi un support scientifique au moment où l’on s’y attendait le moins.”
Bien sûr, la Science ne démontre pas qu’il existe un dessein dans l’Univers, mais cela redevient une hypothèse parmi d’autres. Le chemin parcouru depuis l’affirmation de Monod : “L’Univers n’était pas gros de la vie ni la Terre de l’homme”, est immense.
Un nombre sans cesse croissant de biologistes pensent que la sélection naturelle et les mutations au hasard ne peuvent rendre compte de la complexité et de l’adaptabilité des êtres vivants ainsi que des faits paléontologiques. D’autres facteurs doivent donc être en action dans l’évolution. De plus, les extraordinaires progrès accomplis dans la compréhension du fonctionnement du cerveau n’ont nullement permis de mieux connaître la nature de la conscience, ni d’expliquer l’unicité de notre “soi”. Enfin, certaines expériences suggèrent que des mécanismes de perception pourraient exister indépendamment de tout support neuronal et les difficultés de réalisation de l’intelligence artificielle font penser à un certain nombre d’experts que l’intelligence humaine pourrait être d’une autre nature que celle des machines. Et les mathématiques, par le célèbre théorème de Gödel, démontrent que tout système d’axiomes contient une proposition indécidable, c’est-à-dire qu’aucun système logique fermé sur lui-même ne peut être cohérent, il y a forcément une ouverture, un “au-delà” dans tout système. Ainsi, en quelques décennies, une véritable révolution a balayé les grands domaines scientifiques.
L’une de ses conséquences fondamentales est d’infirmer le postulat qu’en droit il n’y a pas de mystères dans l’Univers. En effet, partout, derrière les concepts rationnels mis en place par la science classique, il existe des mystères qu’en droit, il n’est pas possible de percer. Après un tel progrès des connaissances, c’est la science elle-même qui, à l’opposé des espérances scientistes, non seulement démontre ses propres limites, mais de plus dessine les contours d’un autre niveau de réalité, de ces “choses qui sont cachées derrière les choses” comme le dit un des héros du Quai des Brumes de Marcel Carné.